Mauvaise couverture - [Reboot]

Quelques instants plus tard, Siobhan arrive. Elle a revêtu une lourde cape, et porte deux ballots de fourrure. Elle inspecte le jeune homme du regard et hoche la tête.

- Mettez votre capuche, vous êtes vraiment trop propre. Sinon... C'est pas mal. ... Venez.

Elle entraîne le prince vers une petite poterne extérieure, où elle échange deux mots et quelques piécettes avec les gardes, puis ils sortent. Mi-voix :

- Ces deux là sont pas du genre très pointilleux. Tous les autres passent par eux quand ils ont leur bonne amie à aller trousser au village.

Elle adapte son pas à celui de Constantin et, arrivée non loin du village, lui donne le plus petit des deux ballots de fourrure, l'aidant à le caler sur son épaule :

- Vous êtes mon assistant. Vous vous appelez comment ?

Trop propre ? Le jeune homme ignorait même que cela était possible, mais n’étant pas le professionnel, il préféra ne pas poser de question et s’exécuter sans rien dire. Il la suivit donc sans un mot, prenant tout de même le temps de jeter un regard aux gardes qu’elle désignait, ce serait peut-être utile par la suite. Surpris quand elle lui donna son ballot de fourrure, il ne fit pourtant aucun commentaire, jusqu’à ce qu’elle lui pose une question.

« Hum … Pas Constantin je suppose ? Will ? »

La lycane hoche la tête.

- Will. Ça me va. Venez.

Elle s'avance d'un pas souple dans le village, l’entraînant au gré des ruelles vers des endroits de plus en plus animés et de moins en moins fréquentables : des putains apostrophent le chaland, des hommes aux trognes burinées discutent à voix très basse en jetant des regards furtifs autour d'eux... On peut déjà compter deux bagarres en moins de cinq minutes.
Siobhan marmonne :

- Vous éloignez pas trop. Je vous retrouverais toujours mais bon. Vous êtes sous ma responsabilité, je vous rappelle.

Sans attendre de réponse, elle s'avance vers un homme au regard chassieux et lui jette son ballot aux pieds.

- Salut Valek. J'apporte les peaux. Tu as amené l'argent ?

Au ton de la voix, on peut deviner la menace implicite.

« Je … N’avais pas l’intention de m’éloigner. »

Et pour preuve, le jeune homme se rapproche un peu de la lycane, non par peur mais par prudence. Il jette des regards un peu partout autour de lui, mélange de curiosité et de découverte, mais la capuche camoufle efficacement ce fait. Il lui arrive de ralentir un peu, mais il se hâte chaque fois aussitôt pour rattraper Siobhan, n’ayant manifestement pas envie d’être laissé ici, seul.

Il ne jette pas un regard à ce Valek, se contentant de faire descendre le sac de son épaule, sans le poser immédiatement. Il ignore si les deux sacs sont destinés au même homme et préfère donc attendre d’avoir les instructions.

Le grand type crache sa chique au sol et se lève. Il domine Siobhan de la tête et des épaules et doit pratiquer assidument le marteau de guerre au vu des épaules qu'il se paie.

- Ouais, ma belle. J'ai la thune. Tu veux qu'on aille recompter tout ça dans mon bureau ?

Il pose une main calleuse sur le bras de la lycane, serrant un peu trop fort pour une simple marque de courtoisie. Constantin peut entendre la respiration de Siobhan se bloquer une seconde avant qu'elle ne réponde, d'un voix un peu plus sourde.

- Non. Je n'ai... pas le temps ce soir. D'autres visites à faire. Une autre fois, peut être.

Elle se dégage sans difficulté apparente, récupère une bourse à la ceinture de l'homme.

- Viens, Will. On a une autre livraison.

Elle récupère le ballot de fourrure des mains du jeune homme et repart tranquillement.

Quelques mètres plus lion, elle murmure :

- Il n'est pas méchant. Pas beaucoup de cervelle, mais bon. ... Les gens qu'on va rencontrer ce soir tentent tous de l'esbroufe, que ce soit par l'intimidation ou la séduction, hein. Vous affolez pas. d'accord ?

Le Prince n’avait pas bougé d’un pouce, se contentant de suivre la jeune femme, sans émettre le moindre avis ou commentaires. Il appuya un peu plus la capuche autour de son visage mais quand il parla, Siobhan put percevoir le sourire.

« Bah … C’est un peu comme de la politique, avec un langage moins coloré. »

La réponse est elle aussi accompagnée d'un sourire amusé :

- J'oubliais à qui j'avais affaire. ... Je me suis un peu... documentée sur vous, cet après midi. Enfin. Sur les ragots entourant le prince de Byzance. ... Il serait d'une arrogance princière à nulle autre pareille, d'une grande intelligence et d'une redoutable efficacité. Vous voyez ? Les Bretons ne pensent pas qu'aux danseuses nues en pensant à vous.

Ils arrivent devant une auberge d'où sortent des rires gras et des chansons paillardes. Une pancarte avec un rongeur grossier qui semble pris de boisson trône au dessus de la porte.

- Ici, ça peut être plus viril. Mais ça va bien se passer.

Elle entre.

Le jeune homme haussa un sourcil, sans pour autant se tourner vers Siobhan, sachant qu’elle percevrait sa surprise de toute façon.

« J’ignorais que les bretons me connaissaient si bien. »

Il s’expliqua ensuite avec un large sourire.

« Je suis en effet redoutable d’efficacité et d’intelligence, mais il ne s’agit pas d’arrogance mais de fait. »

Le Prince resta on ne peut plus dubitatif face à l’insigne du lieu mais il emboita tout de même le pas de la lycane, ne faisant qu’un commentaire.

« Si vous le dites. »

La lycane marque un arrêt visible pour écouter le jeune homme, puis éclate de rire à l'issue de sa phrase sur son intelligence.

- Si v-tu le dis...

Elle donne une tape amicale sur l'épaule de Constantin et se détourne déjà... avant de piler et de se retourner vivement en ouvrant de grands yeux.

Sur le coup, le jeune homme n’avait pas eu le temps de réagir, se contentant de s’immobiliser en sentant la main sur son épaule. Un contact d’un très bref instant, mais un contact quand même, qui occasionna une piqûre brutale dans son cerveau, sans pour autant l’affecter plus que ça. Il ne bougea pas, voyant très bien que la lycane venait juste de se rendre compte de son erreur, elle avait l’air effaré. Il prit sur lui pour afficher un sourire rassurant, d’autant que ça n’avait pas été trop prolongé.

« Ce n’est rien. Continuons. »

A mi-voix, la jeune femme murmure :

- Je suis désolée, l'habitude...

Elle scrute le jeune homme le temps de quelques battements de coeur, sans doute pour vérifier s'il ne va pas syncoper, là, tout de suite, puis elle entre au Rat Bourré en carrant des épaules. Comme dans un western, les conversations s'arrêtent quand le duo entre, pour reprendre un ton plus bas tout de suite après.
Siobhan débarasse une table d'un ivrogne endormi dessus, le repoussant au sol sans douceur excessive, et indique une place à Const.

- Assis. Pour voir ce que Logres à de pire comme de meilleur... C'est le bon endroit.

A la serveuse qui vient en roulant des hanches pour le bénéfice de Constantin, elle réclame deux bières, puis a un sourire en coin :

- Vous avez une touche.

Une fois confortablement, enfin c’était un bien grand mot pour un pareil bouge, assis, le jeune homme retira tranquillement sa capuche et laissa sa canne reposer contre sa chaise. Manifestement très curieux de l’endroit, il faisait néanmoins de gros efforts manifestes pour ne pas avoir l’air de débarquer de la dernière pluie. Ses yeux vairons balayaient la salle avec un regard neutre et se concentrèrent rapidement de nouveau sur Siobhan, à tel point qu’il ne vit pas arriver la serveuse. Alors qu’il s’apprêtait à commander, la lycane le fit à sa place et attendit que la serveuse se fut éloigné pour lui dire qu’il « avait une touche ».

Familier du breton mais pas au point de connaître toutes les expressions locales, le jeune homme mit un peu de temps à se souvenir de la signification mais même après cela, il semblait ne pas comprendre, jetant un vague regard dans la direction où la serveuse était partit. Il finit par déclarer d’un ton volontairement blasé.

« Quand on a la richesse de Byzance, on a très souvent des touches …. »

Ce n’est qu’après qu’il sembla se souvenir de son accoutrement et de l’allure qu’il devait donner.

« Oui enfin … j’ai rien vu de cela de toute façon. »

La lycane émit un rire de gorge propre à faire légèrement frissonner les gens :

- Oh, mais vous allez voir quand elle va revenir avec les bières, mon cher. Je pense que ça va valoir le détour. ... Du reste...

Effectivement, la servante revenait vers eux. Elle avait mis les quelques instants précédents à profit pour délacer son corsage plus que la décence ne le permettait, et ondulait fort joliment du croupion. Du reste, sifflets et mains au panier accompagnent son déplacement, à tel point qu'arrivant près de leur table, elle trébuche et fait tomber ses chopes sur...

Ah ben non, rien. Le plateau a été stabilisé de façon quasi subliminale par Siobhan.

- Hé bien. Il faut pas picoler en cachette ma belle.

La jeune femme récupère les bières et attend que la serveuse se soit éloignée pour éclater de rire.

Le jeune homme suivit cette fois-ci le regard de Siobhan pour voir ce dont elle parlait exactement, il ne fit aucun commentaire durant tout le temps que mit la traversée de la serveuse. Et s’il eut un mouvement de recul en voyant que les bières risquaient de lui tomber dessus, c’est fort galamment qu’il tendit la main pour permettre à la serveuse de ne pas tomber complètement et l’aider un peu à se redresser. Un œil attentif aura tout de même vu qu’il avait d’abord emmitouflé sa main dans sa manche trop grande pour lui, comme pour se prémunir du contact. Il se tourna ensuite vers Siobhan avec l’air de la plus pure innocence, et pour cause elle n’était pas feinte.

« Eh bien ? Les maladresses arrivent à tout le monde, et il fait plutôt chaud ici. »

Il porta ensuite sa main à l’une des bières et l’examina, se demandant manifestement s’il s’agissait ou non de consommable.

La jeune femme s'interrompt de rire un instant... puis repart de plus belle, finissant par tenter d'endiguer son hilarité en buvant, manquant ainsi de s'étrangler. Elle tousse, toujours riant.

- Vous êtes... tout à fait... impayable !

Elle se calme petit à petit, le regard fixé sur le visage du garçon. Elle se penche un peu vers lui.

- Vous avez toujours pensé que les... propositions, enfin, celles dont vous vous aperceviez *elle glousse, puis se reprend* étaient dues à votre rang, pas vrai ? ... Au fait, vous pouvez boire : il n'y a rien de mort dedans, aujourd'hui.

Constantin n’aimait pas comprendre, mais cette fois c’était sans doute encore pire ; il avait beaucoup de mal à comprendre pourquoi Siobhan riait, et cela avait l’air de le concerner. Il attendit cependant patiemment qu’elle se calme, espérant qu’elle s’explique rapidement. Heureusement, c’est ce qui fut fait, mais il avait toujours un peu de mal à saisir. Se penchant un peu au-dessus de la table, il désigna la canne qui reposait contre sa chaise.

« Je suis à peine plus grand qu’un nain, et je boite. Pour quels autres raisons cela se ferait ? »

Suivant l’avis de la lycane, il porta le breuvage à ses lèvres mais n’en avala même pas une gorgée avant de tourner brusquement la tête pour recracher, posant brusquement le verre sur la table. Il le repoussa avec la ferme intention de ne plus y toucher. Il fixa ensuite Siobhan et désigna le verre incriminé.

« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

Distraitement, la lycane répond :

- De la bière. A la pomme. C'est pas terrible mais ça se laisse boire.

Elle regarde mieux le tout jeune homme en face d'elle le détaillant de façon méthodique, des grands yeux vifs aux mains fines en passant par les lèvres pleines et les dents blanches, puis elle a un soupir amusé :

- Bon c'est sûr. Si la fille elle préfère les bûcherons, vous serez pas dans la course. Mais pour celles qui aiment les mecs de corpulence normale, vous êtes un joli modèle. Et en plus, elles peuvent se dire que vous les frapperez pas. A cause de la boiterie. Bon, ça c'est couillon parce que des connards, il y en a aussi chez les boiteux, mais... Nan, vous êtes intéressant, pour... Et la revoici, du reste.

La serveuse se penche vers Constantin, tout en décolleté et en grands yeux tristes :

- Vot' bière vous a pas plu ? J'espère que c'est pas ma faute... Sinon... Je me ferai un plaisir de... *papillonne des cils* me faire pardonner..

Elle tend une main douce mais pas très propre en direction de la joue du prince.

Même un imbécile aurait pu lire dans les yeux de Constantin pour comprendre qu’il ne croyait pas un mot de ce que disait Siobhan mais faisait un effort pour ne pas la contredire aussi sec. Il s’apprêtait d’ailleurs à ouvrir la bouche quand la serveuse fit irruption dans la conversation. Se tournant vers elle, il ne trouva que son décolletée, ce qui occasionna un léger mouvement de recul surpris, avec un rosissement. Rosissement qui s’estompa dès que son regard capta la main de la jeune femme, beaucoup trop proche.

Avec autant de douceur que possible, il la repoussa du bout des doigts, bredouillant dans un breton beaucoup plus approximatif.

« N…Non, aucun soucis mademoiselle. Ne vous en faites pas. »

Ses grands yeux vairons allaient de la serveuse à Siobhan avec un air totalement déboussolé.

Siobhan se tenait prête à intervenir si la jeune femme se montrait plus entreprenante, mais celle ci se contenta de baisser la tête et de s'éloigner le plus vite possible.

- Vous lui avez brisé le coeur. Au moins pour la soirée. ... Je ne dis pas que vous soyez le mâle le plus attractif du monde connu. Juste que, même sans... dot, vous vous placez bien au niveau impression sur la gent féminine. Faut vous détendre. Le bien que l'on vous dit n'est pas TOUJOURS motivé par votre... naissance. Je suis sûre que vous croyez les gens quand ils vous complimentent sur votre intellect.

« Brisé le cœur ? Mais … je ne voulais pas, je … »

Le jeune homme semblait véritablement désolé, sans complètement comprendre ce qui venait de se passer. Il se calma tout de même bien vite et haussa les épaules à la remarque de Siobhan.

« Normal puisqu’elles sont vraies. *léger sourire* Mais pourquoi pas, si vous le dites. »

Le sourire est clairement ironique.

- Merci de votre bienveillance... Will. Je vous suggère quand même de réfléchir à quelque chose : pourquoi des compliments sur votre intelligence seraient ils nécessairement vrais, quand ceux sur votre physique seraient faux ? ... Enfin. Revenons-en à pourquoi nous sommes là... je crois : que voulez vous voir comme échantillon d'humanité ? Des ivrognes prétentieux ? Des putains philosophes ? Des bandits puants ? Vous avez tout et même plus, ici. Lâchez-vous.

La lycane boit sa bière sans sourciller, les yeux ambrés fixés sur le jeune prince.

Ignorant visiblement la question sur les compliments, le jeune homme semble se décider à inspecter la salle du regard, sans pour autant s’attarder trop longtemps sur les gens, dans le but manifeste de ne pas se faire remarquer. Il finit par regarder de nouveau Siobhan, avec un léger sourire, amusé.

« Je pense que l’échantillon que je vois est assez représentatif, pas besoin que je m’intéresse particulièrement à quelqu’un … »

Siobhan lève son verre en un salut tranquille.

- Fort bien prévenez moi si vous voulez bouger. Moi, m'encanailler et boire de la bière, même exécrable, me convient bien, ce soir. Ça me permet de faire du repérage. ... Et éventuellement, de vendre encore quelques peaux.

Elle boit tranquillement, en fouillant la salle du regard. Quand elle a fini, elle fait signe à l'aubergiste de les resservir.

« Je ne manquerais pas de vous le dire. »

Lorsque le barman arrive pour les servir, le jeune homme fait aussitôt signe qu’il n’a pas fini, indiquant qu’il n’en reprendra pas tout de suite avec un sourire aimable. Ce n’est qu’une fois parti qu’il fixe son verre comme s’il contenait un monstre, avant de tourner son regard vers Siobhan.

« Je ne boirais pas ce … truc. »

La jeune femme sirote sa bière sans quitter Constantin du regard, sans qu'on puisse déterminer si elle jauge le jeune homme ou l'alcool.

Puis, elle se penche vers lui, une lueur joueuse dans l’œil.

- Petite nature.