Une forêt calme ... trop calme

- Bien. Dissimulons, alors. *elle attrapa les bandages d'une main décidée, se rapprocha du prince et lui en colla un dans les mains* Tenez-ça, s'il vous plait.

Elle déroula d'une main visiblement experte l'autre rouleau, examinant avec acuité la position naturelle des ailes. Pendant ce temps, son esprit carburait à plein régime. "Il va falloir appuyer sur les ailes... Et le toucher, de toutes façons. C'est évident. Il faudrait trouver une solution, un... pliage qu'il puisse reproduire au mieux sans aide... Ça risque d'être long, comme tests." Le regard qu'elle jeta à Constantin se fit appréciatif, les yeux dorés fouillant les yeux vairons pour tenter d'en extirper les limites du jeune homme. "Je peux essayer de détourner son attention en le faisant penser à autre chose... ou le faire tomber dans les pommes de façons à pouvoir travailler. ... Non, il faut qu'il reste en position verticale..." Elle poussa un soupir.

- Je vais sans doute devoir vous toucher. Je vous certifie n'avoir aucune intention malveillante à votre égard, et tout faire pour éviter un geste malheureux, mais... Je préfère prévenir.

Elle repassa derrière le jeune homme, sans cesser de parler.

- Vous venez d'arriver en Bretagne. Et les ailes sont apparues à ce moment là. ... Vous fuyez quelque chose qui vous oppresse à ce point ?

Lui changer les idées on a dit. Et puis... Cette explication en valait bien une autre, non ?

- Juste vous ? Vous ne supportez pas que l'on vous crie après ?

Continuant d'empaqueter le jeune homme avec conviction, Siobhan ne put s'empêcher de constater que la panique de celui ci s'amplifiait de seconde en seconde. Ce n'était pas une bonne chose. D'abord elle avait vraiment besoin qu'il reste éveillé pour pouvoir tester ses pliages. Et ensuite... La peur de l'adolescent commençait vraiment à intéresser la Bête en elle. Et même si elle savait pouvoir résister à beaucoup de ses attraits... Tester la résistance de sa volonté avec un civil possédant toutes les qualités requises pour faire une proie parfaite n'était pas une bonne idée. Il fallait qu'il se détende. Et vite.

La jeune femme termina sa tentative de camouflage par un nœud, et recula pour admirer son "œuvre".

- ... On dirait que vous êtes blessé au torse. *elle fit le tour de Constantin, tapota à l'emplacement des ailes* Cependant, force m'est de constater qu'on ne les voit plus. Ça peut fonctionner. Mais pour vos... serviteurs, ils s'apercevront immédiatement de la chose. Ne serait-ce que pendant le bain.

Coup de bluff. Le jeune homme avait l'air aisé, certes.... mais c'était la phrase sur le mariage qui lui avait mis la puce à l'oreille. Habitude de nobles. Dans les classes sociales inférieures, les choses se faisaient plus simplement : en général, la fille était déjà grosse aux fiançailles, et on arrivait parfois à ne faire qu'un seul banquet pour la noce et le baptême.

Afin de permettre à l'adolescent de se ressaisir, elle décida d'aller préparer une infusion d'herbes. Camomille et fleur d'oranger. Entre la tisane et son éloignement, son invité devrait pouvoir récupérer son sang-froid.

La préparation à proprement parler ne lui prit qu'une poignée de minutes. Du coin de l'œil, elle put constater que son invité les mettait à profit pour récupérer son sang-froid, et elle put à nouveau penser de manière rationnelle avec l'intégralité de son cerveau.

- Qu’on me crie dessus ne me pose aucun problème. C’est quand … on me touche … que j’aime pas.

Oh. ... "que j'aime pas" lui parut bien un raccourci assez... impressionnant pour un souci l'amenant à s'évanouir pour un contact somme toute assez léger, mais... Comme ses sens lui criaient que le jeune homme était sincère, cela impliquait simplement qu'il minimisait le problème. Siobhan le fixa gravement durant quelques instants avant de hausser les épaules et de servir deux tasses de tisane qu'elle aromatisa de miel abondamment. Si le garçon ne désirait pas s'étendre sur les raisons de son malaise, c'est sans doute que celles ci étaient privées. Et ne la regardaient pas. Et qu'il serait malpoli d'insister. Et... Elle eut un léger sourire d'auto-dérision. Elle n'aurait pas du naître louve, mais petite souris à la curiosité insatiable.

Elle se rapprocha de son invité, lui colla sans façons la tasse fumante dans les pattes, puis s'appuya contre la table en soufflant sur sa propre mixture.

- Ne vous en faites pas pour mes serviteurs. Je saurais les gérer, ils n’ont pas l’autorisation de me toucher de toute façon donc ça ira facilement.
- Si vous le dites...

Elle ne fit pas l'effort de cacher son ton dubitatif. D'accord, c'était de ses serviteurs qu'on parlait. (Et au passage, bingo, il faisait vraiment partie de la haute) Mais même si nul ne le touchait... Des ailes, tout de même, ça allait se remarquer, non ? Et ça allait finir par se savoir, du coup, et autant pour son incognito. ... Mais le gamin était vif, il se rendrait compte rapidement de cela, pas la peine de lui mettre le nez dedans. La lycane préféra se concentrer sur la question principale, à savoir :

- Est-ce que cette position vous fait souffrir ou bien est ce que ça vous va ? Buvez chaud, puis effectuez des mouvements qui vous sont naturels. *l'observant un peu, sourire pensif* Pour lire, ou étudier, ou... ce type d'activités, ça ne devrait pas être handicapant. *une idée la traversa* Dites... Vous avez bien sûr essayé de les... faire disparaitre par vous même, hm ?

Les mains du jeune homme se saisirent rapidement e la tasse encore fumante. Elle était chaude mais cela n’avait pas l’air de lui poser beaucoup de problème, au contraire même il resserrait ses doigts dessus, comme pour s’assurer de bien pouvoir toucher au monde. D’être toujours en parfait état de marche. D’un geste naturel, il remonta la tasse devant son nez, humant le parfum doucement, reconnaissant l’odeur du miel. Un léger sourire anima ses lèvres fines, c’était parfait. Mais encore un peu chaud pour être engloutit immédiatement, c’est pourquoi il imita la jeune femme en soufflant délicatement sur la mixture. Il l’écoutait en même temps et ne manqua pas de percevoir son ton dubitatif. Ses yeux vairons se tournèrent donc tout naturellement vers elle, légèrement interrogatif. Elle devait sous-estimer l’influence qu’il avait sur ces hommes et ces femmes. S’il leur ordonnait de quitter la salle de bain une fois qu’il était dedans, ils le feraient. Ils n’avaient pas le choix.

Le seul problème dans cette histoire d’ailes, c’est que ces saloperies avaient déjà grandies depuis leur apparition, il n’y avait donc aucune raison pour que cela ne continu pas ainsi. Le truc, c’est qu’au bout d’une certaine taille, il deviendrait extrêmement difficile de dissimuler cela sous un simple bandeau de tissu. Constantin savait parfaitement qu’il s’agissait d’une solution temporaire mais cela lui laissait parfaitement le temps de réfléchir à la manière dont il allait arranger cela par la suite.

- Non, ça ne me pose aucun problème, répondit-il à la jeune femme d’un ton tout ce qu’il y avait de plus calme.

Ce disant, il porta la tasse à ses lèvres et laissa le liquide presque brûlant glisser entre ses lèvres. C’était plutôt bon et il ne manqua pas de la faire voir, son sourire s’élargissant quelque peu. Il posa ensuite la tasse à moitié vide sur la table non loin de Siobhan et tituba jusqu’à sa canne. Une fois cet instrument retrouvé, il put faire quelques pas tranquillement, bougeant légèrement les épaules pour s’assurer que le bandage ne le gênait en rien. Il fit faire divers mouvements à ses bras sans ne jamais constater aucune gêne, du travail de pro.

- Parce qu’évidemment, la lecture et l’étude sont visiblement les seuls activités que je pratique, n’est-ce pas ?

Une lueur d’amusement était visible dans le regard vairon quand il prononça cette phrase. Elle n’avait pas tort de fait, mais c’était toujours marrant. Doucement, il revient chercher sa tasse et la vida, restant ensuite face à la jeune femme en léchant légèrement ses lèvres pour aspirer les dernières gouttes de liquide.

- Vous voulez dire, comme vous pouvez passer d’une forme à l’autre ? Je ne sais pas. J’ai plusieurs fois souhaité les voir disparaître mais … il ne s’est jamais rien produit.

Buvant à longues gorgées le liquide brûlant, Siobhan observa Constantin marcher de long en large et effectuer quelques mouvements de bras. Les bandages étaient juste assez serrés pour ne pas -trop- bouger quelques soient les gestes de l'adolescent, mais ne semblaient pas TROP serrés. Ca devrait aller. Sauf que... Eh bien refaire tout seul ce bandage allait relever de l'impossible. Le jeune homme devrait faire confiance à quelqu'un pour l'emballer et le déballer, et il devait s'en rendre compte assez vite. Elle ouvrit la bouche pour le lui signaler, quand Constantin la précéda en disant, sur un ton légèrement amusé :

- Parce qu’évidemment, la lecture et l’étude sont visiblement les seuls activités que je pratique, n’est-ce pas ?

La lycane cilla, réfléchissant à ce qu'elle avait exactement dit. ... Oh. Elle grimaça.

- Je me suis basée sur la musculature de votre torse pour supposer que vous ne compensiez pas en étant un combattant à cheval, en fait. *l'examina attentivement* Maintenant... Vous avez probablement fait un peu de tir à l'arc... C'est compatible avec votre rang social, votre musculature et votre rapport taille / poids. ... Je n'insinuais pas que vous êtes sans défense. ... Contre d'autres humains.

Ce type de fautes de diplomatie pourrait, entre garous, déclencher un combat immédiat. Elle savait que ce n'était pas la norme chez les humains, et bon sang ! l'adolescent était son PRISONNIER... Mais il n'empêchait qu'elle avait manqué de tact. Quel embarras. Elle resta muette le temps que le jeune homme termine sa phrase, puis elle murmura :

- Pour moi... Recouvrer ma forme humaine est un combat. Je visualise mon corps dans ses moindres détails et je... je projette mon "âme" dans cette image, en y mettant toute ma volonté. *penche la tête de côté* Je suppose que c'est pour tous différent.

S’il y avait bien une chose que le jeune homme n’avait pas prévu, c’était bien la réaction de Siobhan. Elle semblait être une femme pragmatique qui disait ce qu’elle pensait véritablement, aussi il était parfaitement normal qu’elle énonce les activités du jeune homme telle qu’elle les visualisait, de manière tout à fait juste d’ailleurs. Il avait juste trouvé cela amusant, il ne s’attendait pas à ce qu’elle tente de se justifier ainsi, en fait cela ressemblait presque à des excuses. C’est pourquoi, le jeune homme haussa pendant un moment un sourcil intrigué avant d’affiché un nouveau sourire amusé.

- Vous avez raison sur toute la ligne, ne vous en faites pas. Je ne faisais que constater un fait … amusant.

Légèrement gêné, les yeux du jeune homme affichèrent pendant un temps une innocence parfaite, beaucoup plus adapté à son âge que l’air dur qu’il avait l’habitude de conserver.

- Je ne l’ai en aucun cas mal pris, si c’est l’impression que j’ai donné.

Ce léger détail réglé, le jeune homme se tut, se reculant même un peu, il avait l’air beaucoup plus à l’aise à présent. Un fardeau s’était retiré de son dos, bien sûr la personne à qui il avait confié ce secret n’était peut-être pas le meilleur choix puisqu’il la connaissait à peine mais c’était prendre peu de risque puisqu’elle cachait elle aussi quelque chose. Des solutions se profilaient, il commençait à voir comment il pouvait contrôler tout ceci. Peut-être qu’il finirait par réussir à contrôler tout ce bazar surnaturel qui avait surgi de ses omoplates. En bref, le Prince se détendait même si on pouvait encore percevoir dans ses effluves, la peur brutale de tout à l’heure. Son attitude était beaucoup plus … noble à présent. De toute façon, elle savait déjà de quelle extraction il était.

- Oui, je pense aussi, chacun sa manière de gérer ceci. Mais … J’essaierais tout de même, il serait bête de passer à côté, n’est-ce pas ? *perte de sourire, léger soupir* Et dire que je ne sais même pas ce que je suis, ce que c’est ...

Il laissa s’étirer un petit temps de silence, ses yeux vairons se fixant dans ceux de la jeune femme, la fixant intensément. Sa voix était devenue toute petite, et presque toute mignonne pourrait dire certaines, quand il demanda :

- Et maintenant, vous me croyez si je dis que je n’en dirais rien à personne ?

La lycane s'autorisa un bref sourire de soulagement. Elle aurait été mortifiée de blesser le jeune homme... D'autant que depuis qu'il avait bu la tisane qu'elle lui avait préparée, il était officiellement son hôte, non plus réellement son prisonnier.
Bon, elle n'allait pas non plus le crier sur les toits, hein. Mais elle avait confiance en le jeune homme pour s'en apercevoir tout seul et assez vite. D'autant qu'il semblait reprendre confiance en lui après s'être confié à elle. On sous estimait la puissance des secrets : non partagés ils pouvaient parfois empoisonner l'âme et le cœur, et affaiblir l'esprit. Et parfois, il suffisait de très peu pour que tout revienne en équilibre.

Elle haussa un sourcil, cherchant dans sa mémoire à quel type d'oiseau pouvaient appartenir lesdites ailes.

- Écoutez, franchement... Des plumes aussi uniformément blanches... Il n'y a guère que les cygnes, mais... *fronce le nez* Comment dire ? Vous ne sentez pas autant... La nourriture qu'eux. Sauf quand vous avez peur, cependant.

Elle lui fit un léger sourire, qui se figea quand il la fixa longuement dans les yeux. "Et merde : il va me demander de me jeter par la fenêtre... Et après un regard pareil... Je vais le faire !!"
C'est donc avec soulagement qu'elle entendit le jeune prince lui demander si, au final, elle le croyait.

Bien sûr, qu'elle le croyait. L'équilibre de la terreur, ça s'appelait. Il savait qu'elle savait, elle savait qu'il savait. Et il n'avait pas l'air d'être le genre de garçon à porter la haine pour la haine. Donc, tant qu'elle ne ravageait pas les forêts et les villages... Son secret serait bien gardé.
Elle laissa cependant s'étirer le moment de silence, avant d'avoir un brusque sourire.

- Je vous crois. Maintenant... Vous comptez rentrer comment... à votre point de départ ? Il fait bientôt nuit, et le village est à environ une heure de marche compte tenu de votre handicap. Et il y a d'autres prédateurs que moi dans les bois, que vos jolis yeux et vos bonnes manières n'attendriront pas.

Siobhan faisait un test : si le jeune homme prenait la nouvelle dans le calme, il hériterait d'une part de ragoût de lapin et du lit. Si il paniquait, elle sellerait Faran et ramènerait son invité surprise jusque... là où il habitait, très probablement la forteresse du Roi Elu.

Siobhan haussa les sourcils devant l'embarras visible du jeune homme, puis secoua la tête en souriant.

- Je peux vous proposer deux choses : vous poser sur un cheval antipathique, et vous suivre à pieds jusqu'à votre lieu de résidence... ou prolonger l'hospitalité que je vous offre jusqu'à demain. J'ai assez à manger pour deux, surtout que... vous devez pas manger énormément, si ? Encore que vous soyez à un âge où il est important d'avoir de quoi se nourrir à profusion. Bref. *hausse les épaules* Au besoin, je dois pouvoir trouver un autre lapin. Comme vous voulez.

Le lycane récupéra les deux tasses, puis alla les poser dans le demi baril lui tenant lieu d'évier, et les rinça en prenant son temps.

- Pour ce qui est du bandage, vous comptez faire comment ? Même si les journées ne sont pas très chaudes et que vous restez immobile... Niveau hygiène, sous deux ou trois jours... Ce ne sera pas vraiment ce à quoi vous semblez être habitué, vu la délicate odeur de savon qui émane de vous. *coup d'œil par dessus son épaule* Un ou une complice sur votre lieu de résidence pourrait se révéler indispensable.

Elle termina sa vaisselle, se retourna vers le prince, s'essuya les mains sur ses braies.

- Et... Pas que ça aie une importance capitale... Mais je m'appelle Siobhan.

Au ton de sa voix, on pouvait très bien discerner que SI, justement, ça avait de l'importance.

Un dormeur n’était jamais conscient de ce qui se déroulait autour de lui mais il arrivait qu’il réagisse aux stimuli extérieur, ce fut le cas cette fois-ci. Durant toute la berceuse, le comportement du jeune homme se détendit progressivement et très nettement. Ses mains qui s’étaient crispées sur les draps les relâchèrent rapidement. Sa mâchoire se décontracta elle aussi mais les tremblements continuèrent et l’odeur de peur ne se dissipa pas immédiatement. Ce n’est que lorsque la main de Siobhan entra en contact avec son crâne que le rêve sembla partir définitivement, le corps du prince se redéployant lentement alors que les tremblements cessaient et que la peur cessait d’exsuder de Constantin.

La jeune femme avait l’air relativement joyeux ce matin-là, puisque la première chose qu’il vit sur son visage fut un sourire. Et il ne s’était manifestement pas trompé : il y avait des beignets au menu. Il ne se fit donc pas prier pour aller s’asseoir à la place qu’on lui avait assignée, attendant tranquillement qu’on le serve. Cela ne tarda d’ailleurs pas mais il attendit que Siobhan se serve elle-même pour commencer à manger, la politesse d’usage. Les beignets étaient très bons et il prit tout son temps pour manger, ses yeux dérivant un instant vers la lycane. Elle le fixait de son regard ambré, le jeune homme pouvait presque lire l’interrogation dans l’esprit de cette femme. Elle voulait dire ou faire quelque chose mais ne savait pas quoi. Il aurait été particulièrement impoli de lui faire une remarque là-dessus alors le prince attendit sagement qu’elle se décide à lui parler.

Et ce fut assez surprenant. Une intrusion ? De quoi pouvait-elle bien parler ? Il n’avait rien vu, ni rien entendu au cours de la nuit, au contraire, elle avait été très reposante. Siobhan se serait introduit dans la chambre qu’elle lui avait offerte ? Pourquoi donc ? Après un très léger frisson, le jeune homme n’aimait guère l’idée d’imaginer quelqu’un rentré dans sa chambre durant son sommeil, il retrouva un air calme bien que légèrement interrogatif.

- Une intrusion ? De quoi parlez-vous, Siobhan ?